Gustave Doret " Noël "
(Texte: René Morax)
Le compositeur : Gustave Doret
Avec deux Fêtes des vignerons (1905, 1927) à son actif, Gustave Doret est considéré comme le compositeur vaudois par excellence. Pourtant, sa vie s’est déroulée entre Paris et la Romandie.
Né à Aigle le 20 septembre 1866, Gustave Doret étudie le violon, ce qui le mène à Berlin où il s’inscrit en 1886 à la prestigieuse Königliche Hochschule für Musik dirigée par le virtuose Joseph Joachim. Puis, c’est Paris qui l’accueille dès 1887. Dans la ville Lumière, il étudie la composition avec Théodore Dubois et Jules Massenet.
En 1891, sa cantate Voix de la patrie est créée au Temple de Saint-François à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle Université de Lausanne. Sa carrière se poursuit entre Paris, où il passe la majorité de l’année, et la Romandie, où il séjourne en été et profite du calme pour composer et se ressourcer.
En 1893, il est nommé deuxième chef d’orchestre des Concerts d’Harcourt, un poste qui lui vaut l’honneur de diriger la première exécution du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy en 1894. Grâce à cette fonction, il noue des relations avec le gratin du monde musical français, dont Camille Saint-Saëns et Vincent d’Indy. A cette période, Doret achève ce qui sera son premier grand succès, l’oratorio Les sept paroles du Christ, créé au Temple Saint-Martin à Vevey en 1895, puis joué dans l’Europe entière.
En 1896, Doret séjourne à Genève, où il met sur pied le programme musical de l’Exposition nationale. Il publie ses premiers recueils de mélodies, dont les Sonnets païens dédiés à Massenet. Alors qu’il s’établit dans le monde musical parisien, il continue à être actif en Romandie. En 1900, il est membre fondateur de l’Association des musiciens suisses. Il compose Le peuple vaudois pour célébrer le centième anniversaire de la première réunion du Grand Conseil vaudois en 1903. Il rencontre un succès populaire et d’estime auprès de ses collègues suisses et français avec la Fête des vignerons en 1905.
Son plus grand succès, l’opéra Les armaillis, est créé à l’Opéra-Comique en 1906 ; il sera repris dans toute l’Europe occidentale. Dans la foulée, il est engagé comme directeur musical à l’Opéra-Comique. Sa carrière, qui aurait certainement été brillante, dans les institutions françaises est stoppée par son refus de changer de nationalité, une décision dure à prendre qui traverse plusieurs décennies de sa correspondance avec ses amis de l’Hexagone.
C’est également à Paris que l’avenir du théâtre romand se joue. Avec René Morax et le décorateur de l’Opéra-Comique Lucien Jusseaume, Doret imagine le projet du Théâtre du Jorat sur un coin de table de la rue Lepic près du Sacré-Cœur ! En 1908, la Grange Sublime est inaugurée avec Henriette, un drame de Morax pour lequel il écrit la musique de scène. Dévolu à la construction d’un théâtre populaire romand, le Théâtre du Jorat repose sur la participation des amateurs et fait la part belle aux chorales. Certaines des plus belles et célèbres pages du répertoire choral romand, dont « Le peuple des bergers » dans Tell (1914), ont vu le jour à Mézières.
Lorsque la Première Guerre mondiale est déclarée, Doret rentre en Suisse et s’installe à Genève, où il enseigne au Conservatoire. En 1916, le Département de l’instruction publique du canton de Vaud le charge d’une enquête sur l’enseignement du chant dans le canton, qui débouche dans la parution de Chante Jeunesse ! en 1923. Cette compilation de chants a marqué des générations de Vaudois, puisqu’elle est restée le manuel officiel de l’école publique jusqu’en 1975.
Retourné à Paris dès la fin de la Première Guerre mondiale, Doret tente d’y retrouver la place qu’il occupait avant le conflit. Il tente de faire jouer son opéra La tisseuse d’orties, sur un livret de Morax à l’Opéra-Comique. La programmation de l’ouvrage est retardée en raison de sa nationalité. Finalement, la création a lieu en 1926, alors que Doret est promu au grade d’officier de la Légion d’honneur et prépare activement sa seconde Fête des vignerons (1927).
Malgré sa nomination à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France en 1936, la carrière de Doret se déroule principalement en Romandie durant les années 1930. Il compose les musiques de scène des drames de Morax pour le Théâtre du Jorat : La Terre et l’Eau (1933) et La servante d’Evolène (1937/1939), avec la Chanson valaisanne sous la direction de Georges Haenni, son dernier grand succès qui sera repris au Théâtre des Champs-Elysées à Paris.
Conscient d’avoir côtoyé de grands noms, Doret s’attèle, dès 1938, à l’écriture de ses mémoires qui paraîtront, sous le titre de Temps et contretemps, en 1942. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il s’installe de manière permanente au château de Lutry et décède, alors qu’elle bat encore son plein, le 19 avril 1943 à Lausanne.
Principalement axée sur la musique vocale, sa production est aujourd’hui sauvée de l’oubli par les nombreuses chorales amateures qui continuent à chanter ses œuvres et par l’amour inconditionnel que les Romands portent à sa « Chanson d’Aliénor » (1910) et à sa « Chanson du petit chevrier » (1927). Son œuvre met à l’honneur la Suisse et a contribué, grâce à ses mélodies pseudo-populaires, à la création d’une identité musicale romande.
Parmi ses travaux pour établir un idiome populaire et national, on compte des harmonisations de chants préexistants, comme dans Chansons de la vieille Suisse (première série, 1912 ; deuxième série, 1916) pour une voix et piano. C’est dans le second recueil que figure « Noël », une harmonisation d’une mélodie originaire du canton de Soleure, dont le texte a été traduit et adapté par Morax. Moins connue que leur Fête des vignerons (1905) ou que leurs pièces pour le Théâtre du Jorat, cette collaboration des deux amis montre un intérêt varié et de longue durée pour établir un art suisse ou/et romand. Cette harmonisation de « Noël » est devenue particulièrement populaire, car elle figure dans Chante Jeunesse ! (1923) et Chantons, un recueil de chants à l’usage des écoles primaires et secondaires françaises du canton de Berne. La version qui est interprétée ici est écrite pour quatre voix a cappella.
Delphine Vincent
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